Code de déontologie des journalistes maghrébins

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PRÉAMBULE

Le journaliste œuvre à la promotion des droits humains consacrés universellement. Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout individu. Le journaliste défend ces libertés. L’indépendance du journaliste est une condition essentielle d’une information libre. Le journaliste doit toujours avoir conscience des conséquences des informations qu’il diffuse. L’intégrité professionnelle est la pierre angulaire de la crédibilité d’un journaliste. Le droit du public à une information de qualité fonde l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes. Les devoirs essentiels du journaliste dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements, sont :

 

 

I- DEVOIRS DU JOURNALISTE

1- RESPECT DES FAITS

Le journaliste est tenu de respecter les faits. Il publie uniquement les informations dont l’origine, la véracité et l’exactitude sont vérifiées et établies. En cas de doute, il s’oblige à émettre les réserves qui s’imposent dans les formes professionnelles requises en pareil cas. Il s’engage à ne pas altérer les textes et les documents utilisés à l’appui des informations qu’il diffuse. Toute modification volontaire d’un document quel qu’il soit doit être portée à la connaissance du public.

2- ORIGINE DE L’INFORMATION

Le journaliste s’interdit de recourir à des méthodes déloyales pour obtenir des informations ou toutes sortes de documents. L’origine des informations publiées doit être clairement identifiée. Dans les cas où la collecte d’informations ne peut être obtenue qu’en cachant soit sa qualité de journaliste soit son activité journalistique, il s’en explique, le cas échéant, auprès du public.

3- SEPARATION ENTRE COMMENTAIRES ET FAITS

Le journaliste s’oblige à séparer les faits des commentaires.

4- RAPPORT AUX SOURCES D’INFORMATION

Le journaliste fait preuve d’esprit critique et garde la distance nécessaire avec toutes les sources d’information et les services de communication, publics ou privés. Il se méfie de toute démarche susceptible d’instaurer entre lui-même et ses sources un rapport de dépendance, de connivence, de séduction ou de gratitude.

5- LE PLAGIAT

Le journaliste s’interdit le plagiat. Il cite ses sources.

6- INFORMATION ET PUBLICITE

L’information et la publicité doivent être séparées. Toute production à visée promotionnelle doit être mentionnée en tant que telle.

7- INCOMPATIBILITES ET CONFLIT D’INTERET

La fonction de journaliste est incompatible avec celle d’attaché de presse, de chargé de relations publiques et autres fonctions assimilées. Le journaliste ne confond pas son travail avec celui du policier.

8- PROTECTION DES SOURCES

Le journaliste protège ses sources et ne révèle pas l’origine des informations obtenues confidentiellement.

9- LA RECTIFICATION ET LE DROIT DE REPONSE

Le journaliste rectifie dans les meilleurs délais et de manière franche et évidente les informations inexactes qu’il a pu diffuser. Le droit de réponse est garanti par la législation en vigueur.

10- RESPECT DE LA VIE PRIVEE ET DE LA DIGNITE DE LA PERSONNE

Le journaliste respecte les droits de l’individu à la vie privée et à la dignité. Il respecte la présomption d’innocence et veille à ne pas mettre en cause, sans information crédible, la réputation et l’honneur d’autrui. Il s’interdit la calomnie, la diffamation, l’injure et les accusations sans fondement.

11- LA NON INCITATION A LA VIOLENCE ET A LA HAINE RACIALE, ETHNIQUE ET RELIGIEUSE

Le journaliste veille à ne pas nourrir les discriminations ou les préjugés à l’égard des personnes, des minorités ou de groupes particuliers. Il ne relaie pas des réactions de lecteurs qui risquent d’alimenter ces mêmes sentiments. Il s’interdit l’apologie du crime et veille à ne faire preuve d’aucune complaisance dans la représentation de la violence et l’exploitation des émotions.

12- RESPECT DES CULTES ET DES CROYANCES

Le journaliste respecte tous les cultes et les croyances.

13- LES RESTRICTIONS A L’INFORMATION

Aucune information ne doit être altérée ni supprimée tant qu’elle ne contredit pas les dispositions de ce code.

14- PROTECTION DES MINEURS ET DES PERSONNES VULNERABLES

Le journaliste respecte les droits des mineurs et des personnes vulnérables.

Il n’abuse pas de l’état de fragilité ou de détresse des personnes vivant des événements dramatiques pour obtenir d’elles des informations ou des documents.

15- SOLIDARITE ENTRE CONFRERES

Le journaliste s’interdit d’utiliser les publications, ou tout autre support d’information, à des fins de règlement de compte avec ses confrères.

 

 

 

II- DROITS DU JOURNALISTE

Tout journaliste doit, dans l’exercice de sa profession, revendiquer les droits suivants :

16- LE LIBRE ACCES AUX SOURCES

Dans l’exercice de sa profession, le journaliste a un droit d’accès à toutes les sources d’information et a le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui relèvent de son métier.

17- LA CLAUSE DE CONSCIENCE

Dans l’exercice de sa profession, le journaliste peut invoquer la clause de conscience. Il ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion qui serait contraire à sa conviction ou à sa conscience.

18- LA PROTECTION DU JOURNALISTE

Le journaliste a droit, sans conditions ni restrictions, à la sécurité de sa personne, de son matériel de travail, à la protection légale et au respect de sa dignité.

19- CONTRAT ET REMUNERATION

Le journaliste a droit au bénéfice des conventions collectives, mais aussi à un contrat de travail individuel lui assurant la sécurité matérielle et morale ainsi qu’à une rémunération qui garantisse son indépendance économique. Le journaliste a droit à des conditions de travail décentes ainsi que le droit à la formation continue.

 

 

Adopté les 24 et 25 janvier à Hammamet (Tunisie) en version arabe, française et anglaise.

 

Guide des bonnes pratiques : Applications du Code de déontologie des journalistes maghrébins

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Ce « Guide des bonnes pratiques » explicite, l’un après l’autre, chacun des quinze « Devoirs du journaliste » énoncés dans le Code de déontologie des journalistes maghrébins. Conçu comme un outil pédagogique, il combine, pour chacun de ces articles, l’action de deux procédés : la « pédagogie du coup de marteau » et la « pédagogie de l’auto-discipline ». La « pédagogie du coup de marteau », c’est : « enfonce-toi bien çà dans le crâne »… La « pédagogie de l’auto-discipline, c’est : « je suis un bon journaliste, donc je suis irréprochable »…

Ce « Guide des bonnes pratiques » explicite aussi, l’un après l’autre, chacun des  quatre « Droits du journaliste » énoncés dans le Code de déontologie des journalistes maghrébins. Car il va de soi que, dans une entreprise de presse au service du droit à l’information, le respect des principes déontologiques s’impose à tout le monde.

Les « Deux propositions d’amendement » et le « Canevas de charte » ponctuant ce Guide traduisent, à ce sujet,  des revendications et préoccupations exprimées, tant en Algérie qu’en Tunisie, par certains journalistes maghrébins qui les ont confiées à nos experts « pour transmission.

 

 

DEVOIRS DU JOURNALISTE

 

1/ Le respect des faits est le premier des devoirs du journaliste professionnel parce que l’exactitude de l’information transmise est la première garantie d’honnêteté donnée au public. Mais respecter les faits, ce n’est pas simplement les relater avec exactitude. C’est aussi les décrire dans leur enchaînement, les situer dans leur contexte, essayer d’en expliquer les causes, au besoin les exposer dans leur cohérence. Cela implique que l’observation des faits soit active et non passive. Exposés sans discernement, hors contexte ou sous le coup d’une émotion, certains faits peuvent mentir s’ils ne constituent qu’un fragment de vérité. Voilà pourquoi le journaliste professionnel s’impose comme  règle fondamentale, en toute circonstance, de rester extérieur aux faits et aux événements qu’il observe ou analyse pour renseigner les autres.

 

Je garde mes distances vis-à-vis des apparences mais aussi vis-à-vis de toutes les émotions : les miennes comme celles des autres. Je respecte les faits en les observant avec prudence. Je respecte les témoignages, en les rapportant sans les dénaturer, mais je prends la précaution de ne pas les valider. Je respecte les opinions, en les relayant sans les altérer, même si elles ne me plaisent pas, mais je le fais sans les épouser pour ne pas donner l’impression que je les cautionne.

 

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2/ L’origine de l’information transmise doit être contrôlée parce que le journaliste est responsable de sa diffusion même s’il ne fait que la relayer. C’est la fiabilité de la source qui garantit l’authenticité de l’information. Le journaliste professionnel se fait donc un devoir de préciser quelle est la source de son information chaque fois que cette précision constitue un élément important de l’information. Sauf, bien entendu, si cette précision risque de causer un préjudice à la source.  En cas de doute, le journaliste fait toujours prévaloir l’intérêt public sur les intérêts particuliers. Seul le service de l’intérêt public peut justifier la dissimulation de l’état de journaliste.

 

Je ne suis ni un policier ni un juge. Mes moyens d’investigation sont limités, je le sais et l’accepte. J’agis à visage découvert. Je ne dissimule mon état de journaliste, ou n’use de subterfuge, que si ma recherche de la vérité se heurte à une volonté d’obstruction manifeste. J’oppose alors la transparence aux camouflages. Je demande par courrier des explications aux responsables de l’obstruction ; j’expose mes difficultés au public ; je tiens l’agenda de mes recherches ; j’archive les preuves de ma bonne foi. J’évite, toutefois, que la recherche de la vérité devienne une obsession personnelle. Car l’envie de détenir la vérité comporte parfois le risque de la déformer soi-même si, une fois découverte, elle ne correspond pas exactement à l’idée que l’on s’en faisait.

 

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3/ La rectification des erreurs factuelles est un impératif et le droit de réponse un droit fondamental. Partout où il bénéficie du privilège de pouvoir faire son métier de « diseur de vérités » en toute liberté, le journaliste ne se prive jamais de demander des comptes aux autres : aux gouvernants, aux élus, aux pouvoirs publics, aux administrations, aux organisations, aux associations, aux entreprises, aux clubs, etc. En contrepartie, il est naturel, et même sain, qu’il rende compte aux autres de ses écrits et de ses pratiques professionnelles. Le rectificatif obligatoire et le respect absolu du droit de réponse font partie des règles intangibles de tous les journaux de bonne foi.

 

J’assume le contenu de ma production rédactionnelle. S’il m’arrive de me tromper – cela arrive à tous les journalistes et les journaux qui ne publient aucun rectificatif ne sont pas des journaux honnêtes- je porte spontanément la correction de mon erreur à la connaissance de mes lecteurs. Si l’un de mes lecteurs s’estime mis en cause par l’un de mes écrits, je lui reconnais volontiers le droit de me répondre dans les colonnes de mon journal, quelle que soit la législation en la matière. Si sa réponse me paraît inappropriée par sa longueur, son contenu, ou son ton, j’en discute avec lui en rappelant, au besoin, que le fait d’avoir été mis en cause  de façon excessive ne donne pas le droit de mettre en cause, à son tour, de façon excessive. Mais je ne fais jamais obstacle à la publication d’un droit de réponse parce que ce droit est le plus sacré de tous les droits du lecteur. J’encourage même le public à exprimer ses critiques vis-à-vis des médias.

 

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4/ La séparation des faits et des commentaires est le meilleur moyen de prouver son honnêteté intellectuelle parce que c’est la meilleure façon de s’interdire toute confusion des genres. Les récits les plus factuels ne sont pas à l’abri du mélange des genres. Il suffit d’un mot pour orienter le jugement du lecteur vers une interprétation particulière. Ecrire « le général César… »  ou « le tyran César… »,  ce n’est pas écrire la même chose. Dire que César est un général, c’est énoncer un fait objectif ; le taxer de tyrannie, c’est formuler un jugement. La façon la plus claire de garantir au lecteur l’honnêteté de l’information est de séparer, physiquement et visuellement, le traitement des faits et l’expression du commentaire.

 

Le lecteur ne me demande pas de lui dire quoi penser mais de lui fournir les éléments d’information et d’analyse qui lui permettront de se faire sa propre opinion. Quand je lui fournis des renseignements, ou des explications, je prends soin d’utiliser les mots justes car le choix des mots n’est pas neutre. Le mot juste, c’est un mot sans arrière-pensée. Je m’interdis les commentaires camouflés. Quand je lui expose mon point de vue personnel, je veille à bien distinguer mon commentaire de mon récit ou de mon analyse. J’opère cette distinction en séparant mon traitement des faits de mon commentaire. Je le fais matériellement, en rédigeant deux articles, l’un consacré aux faits, l’autre les commentant. Je le fais visuellement, en utilisant pour ces deux articles, des polices et des forces de caractère  typographiquement différentes. Dans la mise en page, je donne toujours la priorité aux faits en leur consacrant le titre principal ; je réserve à mon commentaire un titre annexe.

 

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5/ Le bon usage des sources d’information exige des précautions et des procédures analogues à celles qui permettent l’identification des faits. Entre le journaliste et sa source, quelle qu’elle soit, il y a toujours un rapport de forces. Il y a un « dominant » -celui qui donne le renseignement- et un « dominé » -celui qui a besoin du renseignement. D’un côté, l’offre ; de l’autre, la demande. La gestion de ce rapport de forces réclame du doigté et du savoir-faire. Il y a toujours, chez une source, l’envie de retirer un profit –personnel ou professionnel- de la fourniture du renseignement; il y a toujours, pour le journaliste, le risque d’être manipulé. La marge de manœuvre est étroite mais elle existe. C’est une question de conscience. Il y a un point d’équilibre à trouver.

 

J’ai besoin de sources fiables pour faire mon travail correctement. Mon carnet d’adresses répertorie les quatre sortes de sources qui me sont indispensables.

Mes sources institutionnelles : ce sont toutes les sources détentrices d’une autorité publique (gouvernement, ministères, assemblées parlementaires, administrations, etc.).

Mes sources intermédiaires : ce sont toutes les sources détentrices d’une légitimité sociale (associations, organisations professionnelles, partis politiques, syndicats, etc.).

Mes sources personnelles : ce sont les sources privées, discrètes, voire secrètes dont je bénéficie, à l’intérieur des cercles de pouvoirs et des cercles professionnels, en gagnant la confiance d’interlocuteurs en possession d’informations ignorées ou occultées. Je n’en révèle l’identité à personne pour les protéger mais je suis responsable de leurs apports.

Mes sources occasionnelles : ce sont les sources spontanées, les témoignages proposés ou sollicités au hasard des circonstances. Responsable des apports de mes sources, je leur applique les procédures de vérification et d’authentification habituelles. Je me méfie de celles qui disent trop facilement des choses qu’on a envie d’entendre. Je ne suis jamais dupe des arrière-pensées de mes sources familières. En cas de dilemme, je considère qu’une source qui se fâche, c’est moins grave qu’un lecteur abusé.

 

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6/ La protection des sources est pour le journaliste un devoir professionnel plus impérieux que le respect de n’importe quelle loi. L’intérêt public la justifie chaque fois qu’un informateur n’accepte de se confier à un journaliste qu’à la condition expresse que les informations publiées seront traitées de telle sorte que leur source ne pourra pas être identifiée. Il s’agit parfois, pour la source, d’une question vitale.

 

Je ne révèle l’identité de mes sources à personne, même pas à ma hiérarchie professionnelle. Je m’impose de protéger mes sources, et l’origine de leurs informations, si ces sources me l’ont demandé, ou si je crains de les mettre en danger en révélant certaines choses permettant de les identifier. Seul le consentement de mes sources peut me délier de mes engagements de confidentialité. Je ne m’en délie seul qu’en cas de situation extrême, par exemple si le maintien du secret peut avoir des conséquences dramatiques pour des tiers ou pour le public.    

 

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7/ Le plagiat est une malhonnêteté qui consiste  à reproduire un texte, dans son intégralité ou en partie, en se l’appropriant ou sans en citer l’auteur. C’est une faute professionnelle impardonnable parce que c’est le comble de la déloyauté vis-à-vis de ses lecteurs et de l’auteur ainsi pillé.

 

Non seulement je m’interdis tout plagiat mais, chaque fois que, dans mes propres textes, j’utilise ou évoque les écrits d’autres auteurs, je précise aux lecteurs quelles sont mes sources.

 

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8/ Le respect de la dignité de la personne et de la présomption d’innocence, garantis par la Constitution de la République tunisienne, de même que le respect de la vie privée, font partie des normes du journalisme professionnel. Si l’intérêt public peut, parfois, justifier certaines intrusions dans la vie privée cette possibilité reste soumise à des conditions très strictes qui n’autorisent, en aucun cas, la violation des droits des individus.

 

Le respect de la dignité humaine m’oblige à faire preuve de retenue dans le traitement des sujets impliquant les gens ordinaires, et à faire la part des choses entre le droit à l’information du public et les droits de l’individu.

 

Le respect de la présomption d’innocence ne souffre, à mes yeux, aucune exception. Je n’oublie jamais que toute personne impliquée dans une « affaire », qu’il s’agisse d’une personne privée ou publique, a le droit à la protection de son honneur et de sa personnalité même si elle est considérée comme suspecte par une autorité habilitée à la juger.  En toute hypothèse, je m’interdis de publier quoi que ce soit à son sujet avant d’avoir recueilli ou sollicité son point de vue. En cas de refus de sa part, ou de son représentant, j’en informe mes lecteurs.

 

Le respect de la vie privée ne souffre, à mes yeux, que deux exceptions : quand les personnalités publiques exposent elles-mêmes leur vie privée  en public et quand la vie privée des personnalités publiques à des incidences sur la vie publique.

 

En aucun cas, toutefois, je ne confonds l’intérêt général avec la curiosité du public. Je refuse de céder aux curiosités morbides sur les détails des vices et des crimes.

 

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9/ La protection des mineurs et des personnes vulnérables nécessite une attention particulière.

 

Je veille à la protection des mineurs, dans la relation des faits, en renonçant à tout sensationnalisme dans la présentation de la violence et de la brutalité. J’y veille aussi, dans le traitement des faits divers, même lorsque la loi ne l’interdit pas, en m’abstenant de donner l’identité d’enfants mêlés à des affaires de mœurs, qu’ils soient victimes, témoins ou accusés. Je m’interdis d’interroger des enfants ou de publier leurs photos sans le consentement de leurs parents.

Je suis particulièrement attentif aux droits des personnes peu familiarisées avec les médias et des personnes en situation fragile, comme les mineurs, les victimes de violence, d’accidents, d’attentats, etc. ainsi que leurs proches.

 Face à des situations de détresse, j’agis avec sympathie, discrétion, décence. Je ne donne pas l’identité des victimes d’agressions sexuelles. Je n’interviens pas, sans autorisation, dans les hôpitaux ou les établissements similaires.

 

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10/ Le respect des cultes et des croyances, garanti par la Constitution de la République tunisienne, est  la condition sine qua non de la paix civile. Le journalisme professionnel y contribue en défendant les valeurs de l’humanisme, en favorisant les expressions pluralistes, en prônant la tolérance qui consiste à laisser chacun(e) libre de penser, croire et vivre comme il (elle) l’entend tant que cette manière de penser, croire et vivre ne prétend pas s’imposer aux autres.

 

Quelles que soient mes croyances ou mes convictions personnelles, je ne traite des questions religieuses qu’avec une extrême prudence. Je m’interdis notamment toute publication – par le texte, l’image ou le dessin – susceptible de porter atteinte aux sentiments moraux ou religieux de mes concitoyens, quelles que soient leurs propres croyances ou convictions.

 

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11/ La non incitation à la violence et à la haine raciale, ethnique et religieuse constitue une obligation morale pour le journaliste conscient de sa responsabilité sociale.  Personne ne doit être discriminé en raison de son sexe, de son aspect, de ses origines, de la couleur de sa peau, de sa religion, de ses croyances, de son inclination sexuelle, de ses handicaps physiques ou mentaux, de son appartenance à un groupe ethnique, religieux, social ou national. Toute indication de nature à renforcer les préjugés est bannie des productions journalistiques.

 

Je place très haut, en la matière, mon degré personnel d’exigence. Je proscris de mes propos et de mes écrits toutes les indications et toutes les allusions discriminatoires. Y compris dans les écrits les plus ordinaires. Dans le traitement des faits-divers, par exemple, je m’interdis toute connotation parce que les connotations dénaturent les faits. Je n’écrirai jamais : « Un  chauffard de type européen... » ou « Un chauffard de type asiatique… ». J’écrirai : « Un chauffard… » tout court, parce que ni le « type », ni les apparences, ni les origines d’un conducteur de voiture ne déterminent son comportement au volant. Si certaines précisions sont indispensables à la compréhension d’une information je les mentionne en prenant soin d’expliquer aux lecteurs en quoi elles sont nécessaires.

 

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12/ Journalisme et publicité cohabitent mais font chambre à part. Le journaliste étant socialement responsable de fournir  au public des informations vraies et indépendantes, il doit être à l’abri de toute influence publicitaire et de toute propagande. Cette obligation lui confère le droit de refuser toute pression publicitaire sur les contenus informatifs. Garants du respect de cette règle, les  rédacteurs en chef et leurs délégués doivent faire en sorte, dans l’organisation de la mise en page, que les lecteurs perçoivent, sans effort, une différence visuelle évidente entre les contenus journalistiques et les contenus publicitaires.

 

Je ne méconnais pas les bienfaits de la publicité. Je ne remets donc pas en cause sa présence dans les médias. J’accepte même de participer à des opérations publicitaires ou promotionnelles en faveur de mon propre média à condition que cette participation soit clairement distincte de mes tâches d’information. J’accepte aussi de participer à des contenus journalistiques soutenus  pas des annonceurs, sous la responsabilité éditoriale de ma hiérarchie, à la double condition de ne pas y être contraint et que ces contenus ne subissent aucune ingérence extérieure. Mais l’intérêt du public m’oblige à éviter tout risque de confusion entre ma démarche journalistique et les démarches publicitaires. Ma crédibilité professionnelle en dépend. En conséquence, je ne prête pas ma collaboration à des opérations publicitaires commerciales et nul ne saurait m’y contraindre.

 

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13/ La question des incompatibilités et des conflits d’intérêts est tranchée par la règle de droit selon laquelle nul ne peut être à la fois juge et partie. Il est inconcevable que le journaliste digne de ce  nom puisse servir à la fois l’intérêt général et des intérêts particuliers. Le journalisme économique et financier étant particulièrement exposé, une vigilance particulière s’impose dans ce domaine.

 

Je me montre, sur ce point, intransigeant.  Je m’abstiens de traiter les sujets présentant pour moi un intérêt personnel. Je ne couvre pas les domaines d’activités dans lesquels des membres de ma famille ou des proches occupent des fonctions d’autorité. Je n’utilise pas à mon profit, ou au profit de proches ou d’amis, les informations dont je bénéficie. Je n’achète pas d’actions de sociétés dont je suis les activités. Etc. Je fais en sorte, sur ce terrain, d’être irréprochable.

 

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14/ La solidarité entre confrères est préférable aux bisbilles mais il ne faut pas confondre confraternité et corporatisme, communauté de travail et caste.

 

Je fais preuve de loyauté vis-à-vis de mes confrères mais je ne renonce pas pour autant à ma liberté d’expression, d’information, d’investigation, de commentaire, voire de critique à l’égard de leurs pratiques professionnelles si celles-ci se révèlent contraires aux règles déontologiques de notre métier. Je leur reconnais naturellement le droit d’en faire de même, le cas échéant, à mon endroit.

  

 

DROITS DU JOURNALISTE

 

 1/ Le libre accès aux sources est l’une des conditions sine qua non de la liberté d’informer. En démocratie, le journaliste a le droit d’enquêter sans entraves sur tous les faits d’intérêt public. Le secret des affaires publiques ou privées ne peut lui être opposé que par exception et en vertu de motifs clairement exprimés. Les entreprises privées n’échappent pas au domaine de la recherche journalistique lorsque leur poids économique et/ou leur rôle social en font des acteurs importants. Cela implique, en démocratie, le devoir pour les pouvoirs publics de communiquer très largement toutes les informations dont ils disposent et de n’exercer aucune censure directe ou indirecte.

 

 

2/ La clause de conscience est un privilège. Le journaliste en bénéficie parce qu’il est au service du droit des gens à l’information. C’est le bouclier dont il dispose pour garantir à ses lecteurs qu’il accomplir sa mission d’intérêt public à l’abri de toute pression contraire aux règles déontologiques de sa profession. En démocratie, le journaliste ne peut être contraint à accomplir un acte professionnel ou à exprimer une opinion contraire à sa conviction ou à sa conscience, et il ne doit encourir aucun préjudice du fait de son refus.

 

 

3/ La protection du journaliste se justifie par  son statut social de « diseur de vérités » au service des autres. Elle commence à l’intérieur même du cadre professionnel où il exerce : il a d’abord besoin de la protection de sa propre hiérarchie contre toutes les réactions des pouvoirs que sa liberté peut déranger. Mais il a aussi besoin d’une protection juridique et légale contre les menaces, les injures ou les diffamations dont il peut être l’objet dans l’exercice de sa fonction.

 

 

4/ Le fait de disposer d’un contrat de travail et d’une rémunération « qui garantisse son indépendance économique » permet au journaliste de travailler en toute sérénité et au service exclusif du titre qui l’emploie. C’est autant l’intérêt de son employeur que son intérêt personnel.

 

 

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DEUX PROPOSITIONS d’AMENDEMENT

 

 

1/ Proposition d’Article 20

 

Exposé des motifs

 

La déontologie, c’est un combat de tous les jours. C’est la vigilance des chefs de service, des rédacteurs en chef, de tous les responsables de rédaction qui constitue la meilleure garantie contre le risque de dérive, donc de contentieux. Mais la déontologie, c’est surtout l’affaire de tous. Le meilleur moyen d’assurer cette vigilance à l’intérieur d’une Rédaction est d’y instituer, selon certains interlocuteurs de nos experts, une « veille déontologique » au jour le jour. D’où, à toutes fins utiles, la proposition d’amendement suivante :

 

Amendement proposé :

 

Article 20- « Dans toute entreprise de presse la Rédaction a le droit de désigner, par élection ou consensus, deux délégués à la déontologie. Ces délégués  assisteront à toutes les réunions de direction pour faire valoir le point de vue des journalistes en matière de déontologie. Ils animeront une cellule de réflexion  associant direction et rédaction, qu’ils réuniront à intervalles réguliers, ou au cas par cas, selon les exigences de l’actualité, pour faire en sorte que les contenus réactionnelles intègrent le respect des bonnes pratiques et que la préoccupation déontologique devienne un réflexe individuel et collectif ».

 

(Texte inspiré par l’histoire du magazine français « L’Express », dont la Rédaction, à sa fondation, était représentée, au Conseil d’administration de la société éditrice, par deux « délégués à la déontologie »). 

 

 

2/ Proposition d’Article 21.

 

Exposé des motifs

 

Dans son préambule, le Code de déontologie des journalistes maghrébins souligne, à juste titre, que « l’indépendance du journaliste est une condition essentielle d’une information libre ». Mais, dans son chapitre II, relatif aux « Droits du journaliste », ce même Code n’exprime pas ce « droit à l’indépendance ». Il s’agit là, selon plusieurs des interlocuteurs de nos experts, d’une lacune à combler. D’où, à toutes fins utiles, la proposition d’amendement suivante :

 

Amendement proposé :

 

« 21/ Indépendance rédactionnelle.

« L’information n’est pas une marchandise commerciale mais l’un des droits fondamentaux des citoyens. Elle n’appartient ni aux éditeurs, ni aux propriétaires des entreprises de presse ni aux journalistes qui ne font que servir le droit des peuples à l’information. En conséquence, des critères minimaux d’indépendance rédactionnelle doivent être appliqués dans toutes les entreprises de presse. Ils doivent comporter :

a/ le droit pour la rédaction d’élire un Conseil de rédaction ;

b/ le droit de consultation du Conseil de rédaction pour les décisions qui concernent : la nomination et le licenciement du rédacteur en chef; la définition de la politique rédactionnelle ; la politique du personnel ; les transferts ou les changements d’affectation des journalistes du secteur éditorial.

c/ le droit du Conseil de rédaction d’être entendu sur les sujets ou griefs concernant la politique rédactionnelle. »

 

(Texte reprenant les recommandations de la Fédération internationale des journalistes formulées en mars 1993 à Milan).

  

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CONTRIBUTION A L’ELABORATION EVENTUELLE D’UNE CHARTE D’ETHIQUE ET DE DEONTOLOGIE DES QUOTIDIENS MAGHREBINS

 

 Exposé des motifs

 

 L’indépendance rédactionnelle de la presse privée maghrébine est aujourd’hui garantie par la qualité des relations de confiance qui unissent les propriétaires des principaux titres et les équipes de journalistes dont le travail assure le développement et la notoriété de ces titres. C’est vrai, par exemple, en Tunisie, pour le quotidien « Al Maghreb », comme c’est le cas, en Algérie, pour les quotidiens « El Watan »,  « El Khabar » et « Liberté ». Mais que se passerait-il si, un jour, ces journaux changeaient de propriétaires, ou de ligne éditoriale, sous l’autorité d’une nouvelle hiérarchie ? Comment garantir, dans un tel cas de figure, l’indépendance de la Rédaction ? Comment faire en sorte, dans un tel cas de figure, que les journalistes d’ « Al Maghreb », ou d’« El Watan », ou de « Liberté », ou d’« El Khabar », qui détiennent le capital moral et intellectuel de l’entreprise, en gardent aussi le contrôle rédactionnel.  La question était d’actualité quand nos experts ont séjourné en Algérie au moment où la propriété d’« El Watan » suscitait les convoitises d’une « OPA » hostile. Plusieurs de leurs interlocuteurs ayant sollicité leur conseil nos experts les ont renvoyés aux dispositions aujourd’hui en vigueur au quotidien français « Le Monde », découlant elles-mêmes des recommandations de la Fédération internationale des journalistes visant à garantir l’indépendance rédactionnelle dans toutes les entreprises de presse, publiques ou privées. D’où la contribution suivante à l’élaboration d’une éventuelle charte d’éthique et de déontologie des quotidiens maghrébins :

 

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Canevas de charte proposé :

 

« La vocation de « Notre Journal » est de fournir une information honnête, précise, vérifiée, équilibrée, pluraliste. Les journalistes de « Notre Journal» font leur métier en s’imposant le respect  des règles déontologiques de leur profession inscrites dans les textes de référence qui constituent le socle déontologique de la profession de journaliste, en particulier dans la Charte de Munich de 1971 et le Code de déontologie des journalistes maghrébins de 2013. Ils disposent des moyens nécessaires pour exercer rigoureusement leur mission sociale, collecter et vérifier les informations, indépendamment de toute pression extérieure.

 

« L’indépendance éditoriale de « Notre Journal» à l’égard de ses actionnaires, des annonceurs, des pouvoirs publics, politiques, économiques, idéologiques et religieux est la condition nécessaire d’une information libre et de qualité. Aucun texte ne peut lui être imposé, aucune orientation ne peut lui être dictée par une intervention ou une contrainte extérieure.

 

« Les actionnaires de « Notre Journal » proclament leur attachement à l’indépendance éditoriale de leur journal. Ils garantissent son indépendance économique mais se gardent d’intervenir dans ses choix éditoriaux et son traitement de l’information.

 

« La ligne éditoriale de « Notre Journal », dans sa version papier comme dans sa version en ligne, ne saurait être guidée ni infléchie par les intérêts des annonceurs. Le Directeur de la Rédaction, ou ses délégataires, sont les responsables éditoriaux de la ligne et du contenu de la publication.

 

« A la tête de l’entreprise éditrice il existe un responsable de l’équilibre économique et de la gestion, distinct du responsable des contenus éditoriaux. En aucun cas, l’un de ces deux responsables ne peut prendre de décision ayant un impact sur le domaine de compétences de l’autre sans avoir obtenu l’accord de ce dernier.

 

« A l’intérieur de l’entreprise existe aussi un Comité d’éthique et de déontologie attentif au respect des règles déontologiques dans le traitement de l’information. Il se réunit au moins deux fois par an. Il émet des avis ou des recommandations qui sont communiquées aux intéressés, à la direction de la rédaction et au président de la société éditrice et qui, au besoin, peuvent être publiés à sa demande, par souci de transparence vis-à-vis des lecteurs. En revanche, ce Comité d’éthique n’a pas compétence pour se prononcer sur le contenu d’un article, ni pour prononcer des sanctions à l’encontre des journalistes. Sa composition est concertée entre toutes les parties concernées. »

 

 

 

 

USAGES PROFESSIONNELS ET « JURISPRUDENCE » COLLECTIVE

Par défaut

Ce « Guide des usages professionnels », renvoyant à la « jurisprudence » collective des journalistes, synthétise les éléments de réponse que nos experts ont apportés aux questions déontologiques soulevées par leurs confrères locaux, au cours de leurs discussions dans chacun des pays du Maghreb. Ces éléments de réponse combinent les apports des grands textes de référence (répertoriés et publiés ci-après) et le savoir-faire accumulé par nos experts au cours de leur propre parcours professionnel.                                      

 

Qu’est-ce qu’un journaliste ?

Le journaliste professionnel est un acteur social. Il est au service du droit des peuples à une information honnête, véridique, authentique. Son métier consiste d’abord à fournir aux gens des renseignements exacts et des explications claires. C’est çà sa mission primordiale : le journaliste digne de ce nom est, avant tout, un diseur de vérités. Vérités, au pluriel, car la vérité absolue n’existe pas… Mais les vérités dont il s’occupe – et qu’il se fait un devoir de rechercher quand on essaye de les camoufler… – sont des vérités modestes, contrairement aux vérités mathématiques et scientifiques. Le journalisme est donc un métier qui exige humilité, patience, rigueur, sang-froid ; qui applique des règles techniques qu’on apprend dans des écoles spécialisées ; qui respecte les pratiques déontologiques que la profession s’impose dans le cadre du contrat de confiance la liant au public partout où la presse est libre. Nous parlons ici du « journaliste digne de ce nom » parce que, de nos jours, le développement des nouvelles technologies de la communication fait apparaître dans le paysage médiatique une multitude de contrefaçons et de plus en plus d’experts en désinformation.

 

Le journaliste est-il un acteur politique ?

 Nous disons « acteur social », quand nous définissons le journaliste, pour le différencier, justement, des acteurs politiques. Car le journaliste n’est pas un acteur politique. Sa mission sociale a, bien sûr, un impact politique mais lui, en tant que professionnel du traitement de l’information, il n’a pas vocation à agir en politique. Son engagement est un engagement citoyen mais pas un engagement partisan. Son boulot, c’est d’observer les faits, de les rapporter, de les expliquer, en prenant le maximum de recul et de distance; c’est de recueillir tous les témoignages, en les respectant sans forcément les valider ; c’est de relayer toutes les opinions sans forcément les épouser… Pour rester aussi honnête que possible, sans parti-pris, sans préjugés, il est donc préférable que le journaliste garde un regard extérieur, détaché, sur le monde qui l’entoure. C’est la seule façon de ne pas se laisser emporter par ses envies personnelles ou par les émotions. Bien sûr, parfois, le public a besoin que le journaliste lui expose son point de vue personnel et le journaliste lui livre alors son commentaire. Mais commenter l’actualité n’est pas une tâche prioritaire pour les professionnels de l’information. Il ne faut d’ailleurs pas abuser des commentaires car le trop-plein de commentaires tue le commentaire. De toute façon, quand le public est éduqué, il n’attend pas que le journaliste lui dise quoi penser ; il attend de lui les informations et les analyses qui lui permettront de se faire sa propre opinion. C’est toujours improductif de prendre ses lecteurs pour des imbéciles. Faites des journaux meilleurs, toujours plus respectueux des autres, et vous aurez de plus en plus de lecteurs.

 

Le journaliste peut-il être militant politique ? 

 Le journaliste n’est pas un être désincarné ; il peut avoir, comme tout un chacun, des croyances, des convictions, des engagements personnels. Il y a d’ailleurs beaucoup de journalistes militants qui s’expriment dans la presse d’opinion et qui le font parfois avec tant d’ardeur qu’ils deviennent ouvertement acteurs politiques. Il arrive même souvent que le journaliste militant pour les valeurs de l’humanisme soit conduit à s’opposer ouvertement à des pouvoirs qui les bafoue ou les nie. Il le paye, parfois, de sa vie. Mais, même dans les cas de tensions extrêmes, le journalisme d’opinion ne fait pas exception à la règle : il ne saurait s’affranchir des règles déontologiques qui lui imposent de respecter toutes les convictions, toutes les croyances, toutes les formes d’expression, y compris celles qui prétendent museler les siennes. Le journaliste militant attaché aux valeurs universelles met notamment un point d’honneur à donner la parole à ses adversaires et à faire preuve de tolérance à leur égard dans ses analyses et ses commentaires. Car les valeurs qui forment le socle de l’action professionnelle du journaliste digne de ce nom – qu’il exerce son métier dans la presse d’opinion ou dans la presse d’information – ce sont les valeurs de l’universalisme : la paix, la démocratie, la liberté, la justice, la solidarité, l’égalité, l’éducation, les droits de l’homme, les droits de la femme, les droits de l’enfant, le progrès social, etc. Ses écrits contribuent donc aux transformations sociales et politiques. Mais s’il milite au nom de ces valeurs universelles, le journaliste professionnel ne milite jamais en faveur d’intérêts catégoriels, sectoriels, individuels ou partisans. Sinon, il tombe dans la confusion des genres, aliène sa liberté, compromet le crédit de confiance que les lecteurs accorde à son indépendance d’esprit. Cela signifie que, en dehors de la presse d’opinion, en dehors des organes d’expression politique, et surtout s’il exerce son métier dans la presse d’information, le journaliste professionnel évite toute confusion des genres par respect des lecteurs et de son propre journal. S’il adhère à un parti – ce qui est son droit citoyen – il s’interdit de mettre sa fonction au service de son parti et, en particulier, de relayer, dans son journal, les prises de position de son parti. Il ne se montre pas sur les estrades politiques ; il ne prend pas la parole au cours des réunions publiques de son parti ; il ne manifeste pas au premier rang des manifestations organisées par son parti ; il ne signe pas les pétitions de son parti, etc. Il s’impose de limiter très strictement les expressions de son militantisme à la sphère de sa vie privée. Les chartes éditoriales empêchent les dérives en excluant notamment qu’un journaliste membre d’un parti, d’un mouvement ou d’un syndicat puisse intervenir dans le traitement des informations relatives à ce parti, ce mouvement ou ce syndicat. Toute dérive en la matière discrédite son auteur et porte préjudice au titre qu’il représente aux yeux des gens.

 

Quelle est la mission du journaliste dans les phases de transition révolutionnaire comme celle que connaît aujourd’hui la Tunisie et que peuvent connaître, un jour, des pays voisins ?

Toutes les phases de transition révolutionnaire sont des phases de tension. A fortiori quand une société passe d’un régime autoritaire à un régime démocratique et parlementaire.  Partout où la presse est libre, le journaliste professionnel met son engagement citoyen au service de la recherche de la paix civile, de la justice, de l’éducation, du progrès, de la défense des libertés, de la protection des minorités. Il accompagne le changement, prêche la patience et la compréhension, refuse la démagogie. Il défend les valeurs de l’humanisme, favorise les expressions pluralistes, prône la tolérance qui consiste à laisser chacun(e) libre de penser, croire et vivre comme il (elle) l’entend tant que cette manière de penser, croire et vivre ne prétend pas s’imposer aux autres. Il ne confond surtout pas la liberté d’expression et le droit de dire n’importe quoi. Plus les passions et les émotions prédominent, plus il ancre ses prises de position sur le socle de  la raison. Il préfère les analyses aux anathèmes, les plaidoyers aux jugements péremptoires, la médiation au jusqu’au-boutisme, la pédagogie à la critique systématique. Il donne l’exemple du respect des convictions et des croyances. Il s’interdit, dans ses écrits, toutes les connotations susceptibles de nourrir les préjugés ou les discriminations. Il s’interdit les procès d’intention, les accusations sans preuve, combat les incitations à la violence, à la haine raciale, ethnique et religieuse. Mais il dit toujours la vérité, et la recherche, quoi qu’il en coûte, sans jamais chercher à plaire ou déplaire. Bref, il s’impose le respect des règles déontologiques du journalisme professionnel qui sont devenues universelles et que les journalistes tunisiens dignes de ce nom connaissent bien même si, par le passé, elles ont souvent été bafouées par des entreprises de presse qui n’étaient que des entreprises de propagande. Il y a maintenant, depuis le premier Forum de Hammamet (2013), le Code de déontologie des journalistes maghrébins, inspiré par les grands textes de référence ; un peu partout les équipes de journalistes expriment leur envie de devenir plus professionnelles ; des formations spécifiques sont en cours sur l’initiative de l’Union européenne et d’autres organisations gouvernementales ou non gouvernementales, tout cela va dans le sens de l’intérêt général de la société civile et  produira vite, partout, il faut l’espérer, des effets positifs dans tous les contenus journalistiques.

 

Est-ce que le journaliste n’a pas également un devoir d’éducation, en particulier dans les sociétés peu développées ?

 Bien sûr ! Sa mission d’acteur social inclut cette nécessité partout, et pas seulement dans les sociétés sous-développées. Et la meilleure façon d’être « éducateur », pour le journaliste professionnel, dans la presse écrite, c’est de l’être chaque fois qu’il s’adresse à ses lecteurs. Chacun de ses écrits se doit d’être aussi pédagogique que possible. Cela implique de fournir systématiquement au lecteur les clés nécessaires à une parfaite compréhension du sujet traité, surtout s’il s’agit de sujets complexes. Fournir des clés, cela signifie donner au lecteur toutes les précisions de nature à mieux éclairer sa lanterne : précisions, notes, chronologies, cartes, graphiques, références, etc.

 

Y a-t-il une procédure méthodique à suivre pour identifier la vérité des faits observés, quand ces faits ne sont pas clairs ?

Oui. Quand l’observation est directe il faut garder à l’esprit que ce que l’on voit n’est peut-être qu’un morceau de vérité ; s’interroger sur le sens réel de ses observations ; confronter ses observations à celles des autres témoins (« Avez-vous vu ce que j’ai vu ?…) ;  replacer les faits dans leur continuité ; situer les faits dans leur contexte ; mettre en forme les faits, au moment de les raconter, sans les sélectionner, ni les tronquer, ni les interpréter ; faire relire son article pour vérifier que son contenu ne provoque pas une compréhension incorrecte. Quand l’observation des faits est indirecte, il faut vérifier la fiabilité des témoignages ; recouper les affirmations des témoins ; solliciter les sources officielles ; recourir, dans la rédaction, aux formules de précaution : « selon la police… », « selon un témoin… ».

 

Pour vérifier une « info », ou pour éclaircir une « rumeur », il faut un peu de temps et quelques coups de téléphone mais les coups de téléphone coûtent de l’argent et, en Tunisie, beaucoup des correspondants locaux n’ont pas les moyens de dépenser du temps et de l’argent… Comment faire, dans ces conditions, pour vérifier l’ « info » ?

 Dans  un cas pareil, si un correspondant ou un informateur local me dit : « j’ai une bonne info, voilà comment je l’ai eue, mais je ne peux pas la vérifier... », à votre place, je me substitue à lui, j’essaie de vérifier l’ « info » en utilisant mes propres moyens professionnels ou personnels, et, quand je suis parvenu à la vérifier, je la publie en précisant à mes lecteurs – pour rendre hommage à ma source, surtout si c’est un petit « scoop » – que cette « info » nous est parvenue grâce au bon réflexe journalistique de mon correspondant. S’il s’agit d’une « info » impossible à vérifier sur le moment mais d’une « info » très vraisemblable, et trop importante pour être différée, je la porte à la connaissance des lecteurs en précisant, toutefois, que, pour l’instant, cette « info » n’a pas pu être vérifiée et ne constitue donc qu’une « rumeur » à confirmer.

 

Qu’est-ce qu’un expert ?

 Le journaliste est, par fonction, un généraliste. L’actualité, par nature, l’oblige à se mêler de tout. Passant d’un sujet à l’autre, il court le risque de parler de tout à tort et à travers. Il lui est d’ailleurs souvent reproché de parler de tout pour ne rien dire. Mais le généraliste n’est pas condamné à être ignorant et superficiel. Il devient un expert, c’est-à-dire un spécialiste, un professionnel faisant référence, quand il enrichit ses connaissances pour être plus performant dans son travail quotidien. Les meilleurs experts ne sont que des généralistes extrêmement consciencieux. Cette spécialisation s’acquiert par la force des choses journalistiques. On ne peut pas traiter complètement certains sujets si l’on ne possède pas les connaissances requises pour les approfondir. On ne peut pas expliquer clairement une enquête de police si l’on ne connaît pas les procédures judiciaires. On ne peut pas analyser correctement la situation financière d’une entreprise  si l’on ne connait pas la différence entre un chiffre d’affaires et un compte d’exploitation. On ne peut pas critiquer judicieusement une œuvre d’art si l’on ne possède aucune référence artistique. Chaque généraliste est capable de devenir un expert dans n’importe quelle rubrique à condition de le vouloir et de s’imposer le travail supplémentaire nécessaire. C’est une question d’investissement personnel.

 

Est-ce qu’un journaliste professionnel peut avoir d’autres activités rémunérées ?

Les journalistes – mais aussi leurs employeurs- doivent conduire leurs vies personnelles d’une manière qui les protège des conflits d’intérêts réels ou apparents. Leurs responsabilités à l’égard du public dominent les autres. C’est la nature de leur profession. Ils doivent donc éviter les autres activités rémunérées mais aussi l’implication politique et les postes électifs s’ils risquent de compromettre leur intégrité. En France, la Charte de 1918 fait devoir au journaliste professionnel de ne pas toucher d’argent « dans un service public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses relations seraient susceptibles d’être exploitées ». Cela vaut, bien sûr, pour les piges.

 

Pensez-vous qu’un journaliste sous-payé ou en situation de précarité puisse être sensible au respect des règles déontologiques de sa profession ?

 La plupart des codes de déontologie ne se bornent pas à énoncer les devoirs des journalistes ; ils énoncent aussi quels sont leurs droits. Et c’est normal : la déontologie, dans le journalisme professionnel, ce n’est pas que l’affaire des journalistes ; c’est aussi l’affaire des patrons de presse. L’article 19 du Code de déontologie des journalistes maghrébins, par exemple, dispose que tout journaliste a droit « au bénéfice des conventions collectives », « à un contrat de travail individuel lui assurant la sécurité matérielle et morale » ainsi qu’à « une rémunération qui garantisse son indépendance économique ». Il est légitime, pour tout journaliste professionnel, de bénéficier d’une stabilité d’emploi et d’une rémunération à la mesure de ses responsabilités sociales. En la matière, l’intérêt du journaliste rejoint d’ailleurs celui de son employeur car un journaliste bien traité sera plus performant, plus auto-discipliné, plus attentif au respect des règles déontologiques de son métier.

 

Quelle est la bonne attitude déontologique à avoir quand on reçoit une invitation à un voyage de presse organisé pour des raisons de communication politique ou de promotion commerciale ?

 Un déplacement de presse organisé et financé par un organisme public ou privé n’est, en effet, jamais exempt d’ambiguïtés. La première chose à faire est de s’interroger sur son intérêt informatif. Le mieux est d’en discuter avec un responsable hiérarchique afin d’en déterminer l’opportunité ou la nécessité. Quoi qu’il en soit, la participation d’un journaliste à un voyage de presse ne saurait valoir engagement du journaliste ou de sa Rédaction à publier un article en résultant. Et tout journaliste peut refuser de participer à un voyage de presse sans avoir à s’en justifier.

 

Le journaliste peut-il accepter des cadeaux ?

La réponse de principe est simple : un journaliste est payé pour faire du journalisme et rien d’autre.  Dans l’exercice de son métier, il ne doit pas accepter autre chose que son salaire. Concrètement, cela veut dire que nous ne devons pas accepter des cadeaux ou autres avantages lorsque nous accomplissons notre travail. Notre contrat de confiance avec le public repose sur notre honnêteté professionnelle. Voilà pour le principe. Maintenant, il faut traduire ce principe dans la réalité. Et, dans la réalité, le journaliste relie ce principe aux pratiques sociales et culturelles du pays ou de la région où il exerce son métier. Il fait preuve de bon sens. Une tasse de thé ou de café offerte au cours d’un entretien n’est pas un cadeau compromettant. Une invitation à déjeuner ordinaire est dans les normes de la sociabilité normale. La place de cinéma, de théâtre, de concert qu’on vous offre si vous êtes critique d’art, ou la place de la rencontre sportive à laquelle vous devez assister si vous êtes chroniqueur sportif, ce ne sont pas des cadeaux ; ce sont des facilités qui vous sont accordées pour bien faire votre métier. Même chose pour le livre gratuit que l’éditeur vous adresse dans l’espoir que vous en parlerez. Mais tout est affaire de mesure. La vraie question est de savoir à partir de quel cadeau ou de quels avantages votre indépendance professionnelle risque d’être mise en cause aux yeux du public. Si vous multipliez les déjeuners gastronomiques dans les grands restaurants aux frais des mêmes puissances invitantes vous serez fatalement taxé de connivence. Si toute votre famille se fait offrir des places de cinéma, de théâtre et de concert sous prétexte de vous accompagner votre réputation de « profiteur » sera vite établie. En gros, il ne faut accepter de cadeaux que lorsque la sociabilité nous l’impose, dans des limites de valeur fixées, et ne jamais rien accepter qui puisse limiter notre indépendance professionnelle ou l’expression de notre opinion.  Chaque équipe rédactionnelle peut fixer ses propres limites. Au « Monde », par exemple, les journalistes « s’engagent à refuser tout cadeau d’une valeur supérieure à 70 € ou de nature à mettre en cause leur indépendance ». De la même façon, au « Monde », « en cas de prêt de produits en vue de la rédaction d’un article, la mise à disposition des produits ou matériels ne peut dépasser une durée trois mois. ».

 

Comment traiter les suicides ?

 Il n’y a rien de plus intime qu’un suicide. En présence d’un suicide, toute interprétation est vaine. Il convient donc de traiter les suicides avec une extrême décence. Les médias, en général, observent la plus grande retenue. Certains journaux font même le choix de ne pas en parler. La question de savoir comment informer en la matière doit faire l’objet d’une réflexion collective. On peut convenir, par exemple, comme cela se fait en Suisse, que les suicides ne font l’objet d’informations que par exception, dans certaines situations bien définies, par exemple lorsqu’ils provoquent un grand écho public ; lorsqu’il s’agit du suicide d’une personnalité publique et pour autant que le suicide ait une relation probable avec la fonction de la personne ou les raisons de sa notoriété ; lorsqu’ils se produisent en relation avec un crime révélé par la police ; lorsqu’ils ont un caractère de manifestation ou qu’ils visent à rendre l’opinion attentive à un problème non résolu, comme c’est souvent le cas dans les immolations ; lorsqu’ils suscitent une discussion publique ou lorsqu’ils donnent cours à des rumeurs ou des accusations…

 

Faut-il publier les images de guerres ou des actes de terrorisme ?

Il y a un équilibre à trouver entre le devoir d’informer, qui interdit la censure, et le respect dû aux victimes, qui oblige à faire preuve de retenue. En cas de doute une réflexion s’impose. Il faut se demander ce que représentent exactement les photos ou les images. Est-ce que la scène représentée est de nature à choquer ou blesser ? Est-ce que l’intérêt public justifie ou non la publication ? Est-ce que, dans le cas de photos de cadavres, la droit des morts à la paix ne pèse pas plus lourd que l’intérêt de la publication ? Est-ce que je fais du journalisme ou est-ce que je cède au plaisir morbide du voyeurisme ? Si je recours à des documents d’archives est-ce que je suis autorisé à les diffuser à nouveau ? En cas de dilemme c’est bien d’expliquer sa décision à l’opinion publique. Voilà pourquoi nous publions… Voilà pourquoi nous ne publierons pas… La bonne référence, c’est la règle que s’est donnée l’AFP, en septembre 2014, quand les développements de l’actualité guerrière aux frontières de la Syrie, de l’Irak et de la Turquie se sont traduits par une avalanche de photos plus horribles les uns que les autres : l’AFP a alors codifié son traitement des photos de ce genre en les traitant avec le maximum de distance, en procédant par plan serrés sur les visages et en faisant en sorte que les photos des victimes, par respect pour elles, soient, même floutées, les moins dégradantes possibles (voir le blog « Making-of » de l’AFP à propos de la façon de couvrir le soi-disant « Etat islamique » et, à ce sujet, le texte de Michèle Léridon, directrice de l’information de l’agence, daté du 17 septembre 2014).

 

Existe-t-il une façon correcte d’informer sur le terrorisme ?

Il existe, en la matière, trois règles qu’il faut impérativement respecter. Primo, pour nous, journalistes, le terrorisme, c’est une actualité comme une autre, donc nous devons en rendre compte. On ne peut, ni ne doit cacher ce que le citoyen peut découvrir par lui-même. Secundo, dans le traitement de ce sujet, il ne faut jamais divulguer d’informations qui pourraient mettre en danger les forces de l’ordre, ni même nos sources dans ces milieux-là. Une exception cependant, si nous savons qu’un acte dont nous avons connaissance peut porter atteinte à l’intégrité d’un groupe de citoyens. Mais n’oublions pas que nous n’avons pas en charge la sécurité publique qui, elle, relève des compétences de l’Etat et pas de la presse. Tertio, il ne faut pas devenir la caisse de résonance de l’activité des terroristes. C’est-à-dire qu’il faut traiter l’information à proportion de son importance. Un attentat localisé sans victimes n’est pas une information aussi importante qu’une bombe qui fait des victimes ou qui fait, par exemple, exploser un dépôt d’essence. Sans couverture médiatique les terroristes ont du mal à exister mais les journalistes ne sont pas là pour faire la propagande du terrorisme. Il est souhaitable que cette question soit collectivement débattue à intervalles réguliers. C’est ce qu’a fait justement l’Agence France Presse quand elle s’est imposée des règles très strictes afin que l’utilisation des images de vidéos diffusées par les preneurs d’otages soient utilisées a minima, de la façon la plus sobre possible, pour ne faire faire le jeu de ces pratiques de propagande.

 

Existe-t-il une façon irréprochable de traiter le conflit israélo-palestinien ?

 Cela fait plus d’un demi-siècle que les journalistes sans parti-pris se posent la question sans trouver la réponse parfaite. En 2009, dans sa collection « Médias et Recherches », l’INA (Institut national de l’audiovisuel) a même édité un dossier intitulé : « Le récit impossible : le conflit israélo-palestinien et les médias » (Dossier de Jérôme Bourdon, éditions De Boeck). Tous les journalistes interrogés – c’étaient tous d’éminents professionnels, maitrisant parfaitement et le dossier et connaissant bien le terrain – soulignaient l’impossibilité de traiter ce conflit sans être accusé, à un moment ou à un autre, soit d’épouser le point de vue palestinien soit de faire le jeu du sionisme. On ne peut même pas s’en tenir à un traitement symétrique parce que le journaliste professionnel ancré dans la défense des valeurs universelles ne peut faire abstraction du fait qu’il y a aujourd’hui, sur le terrain, des territoires occupés et une armée qui les occupe. Mais le simple énoncé de ce constat d’évidence peut valoir à son auteur un procès d’intention. Comme le simple constat qu’il existe des fanatiques religieux dans les deux camps… Voilà pourquoi la moins mauvaise façon de traiter le dossier israélo-palestinien est de le traiter en s’en tenant strictement aux faits, qu’ils se produisent dans un camp comme dans l’autre, et en ayant en permanence le souci d’équilibrer le point de vue des uns et celui des autres en disposant de sources expérimentées et fiables dans chaque camp. Ce dossier contient de telles charges émotionnelles que son traitement honnête exige un recul maximal, un sang-froid à toute épreuve et le réflexe permanent, dans le traitement des informations, de tenir la balance égale par respect pour tous les lecteurs, que leur sympathie aille aux uns ou aux autres. Si nous consacrons un jour plusieurs pages, justifiées, à la décapitation très médiatisée d’un otage, n’oublions surtout pas de souligner qu’aucune horreur n’est plus horrible qu’une autre et que la mort de centaines d’enfants palestiniens sous les bombardements israéliens de Gaza n’est pas moins criminelle que l’assassinat d’un randonneur français tombé dans une embuscade en Algérie. C’est à la Rédaction en chef de chaque journal de veiller à l’équité en la matière.

 

 

Existe-t-il une déontologie journalistique particulière concernant les réseaux sociaux ?

Non. Qu’il s’agisse de Facebook, Twitter, des blogs ou des autres formes de réseaux sociaux, les nouvelles techniques de communication font de plus en plus partie intégrante de l’activité journalistique, tant pour recevoir que pour émettre des informations, et les journalistes  y sont par conséquent tenus d’y respecter leur déontologie professionnelle à partir du moment où ils diffusent des messages d’information sur un support numérique destiné à un public non défini et non limité. De même, quand ils interviennent sur les forums, les journalistes restent fidèles à leur ligne de conduite déontologique. Qu’il s’exprime sur Facebook, Twitter ou sur n’importe lequel des réseaux sociaux un journaliste professionnel reste un journaliste professionnel et le moindre de ses propos engage non seulement sa responsabilité sociale mais aussi le titre qu’il représente dans l’exercice de son métier. La déontologie journalistique s’applique également aux espaces d’expression des internautes ouverts par les journaux en ligne. Les médias et leurs rédactions doivent mettre en œuvre des modalités de gestion de l’expression des internautes de nature à répondre aux risques de dérive dans le cadre des débats dont ils autorisent l’organisation. Ces modalités peuvent consister en l’installation de filtres ou autres types d’intervention immédiate visant à évincer les messages racistes, discriminatoires, négationnistes, injurieux, incitant à la haine ou à la violence, attentatoire à la dignité des personnes, etc., autant de choses incompatibles avec le Code de déontologie des journalistes maghrébins.

 

Les codes de déontologie demandent aux journalistes de ne jamais recourir à des méthodes déloyales pour obtenir des informations mais comment faire quand ceux qui détiennent les informations se comportent de manière déloyale ?

 Le journaliste travaille à visage découvert et s’interdit le recours à des moyens déloyaux. C’est la règle. Mais toute règle a ses exceptions. La « jurisprudence » professionnelle admet le recours à certains subterfuges quand  l’intérêt public est en jeu mais seulement quand l’information recherchée ne peut être obtenue d’aucune autre manière. C’est le cas, par exemple, quand le simple fait de se présenter comme journaliste empêche l’accès à l’information, soit en raison d’un blocage par les sources, soit parce que la présence connue d’un journaliste modifierait le cours ou la réalité des choses. Si vous tenez vraiment à savoir si le propriétaire d’un immeuble locatif réagit de la même manière face à des candidats locataires Blancs ou Noirs il est préférable que vous dissimuliez votre identité professionnelle. Le camouflage se justifie également dans le journalisme d’infiltration, qui consiste à s’introduire dans un milieu donné pour l’observer de l’intérieur, et dans le journalisme d’immersion, qui consiste à se mettre dans la peau des autres pour vivre comme eux. Dans tous ces cas de figure, la dissimulation de l’état de journaliste peut se justifier à condition que l’information recherchée ait vraiment un intérêt important pour la société (atteinte aux droits humains, protection contre des délits, dangers pour la santé publique, phénomènes de société…).

 

Est-ce que le fait d’écouter aux portes est une méthode déloyale ? 

Si les circonstances vous mettent en situation d’obtenir fortuitement des informations en écoutant une conversation derrière une porte ou une cloison sans que vous ayez au préalable commis la moindre indélicatesse ou la moindre effraction pour vous retrouver dans cette situation, nul professionnel ne vous en fera reproche car la curiosité, chez le journaliste, ce n’est pas un défaut… Mais se pose ensuite une autre question : comment traiter une information obtenue en écoutant aux portes ? Le fait de l’avoir obtenue de cette façon ne vous dispensera pas d’en vérifier l’authenticité. Vous devrez faire preuve de malice pour en obtenir la confirmation ou pour la recouper. Si vous êtes un journaliste honnête vous comprendrez la nécessité de préciser aux lecteurs dans quelle circonstance vous avez obtenu cette information. Elle sera « le fruit d’une indiscrétion », « le résultat d’une fuite involontaire », l’interception d’un « propos tenu à huis clos »… Dans tous les cas de figure restez loyal avec votre lecteur.

 

Que pensez-vous du journalisme « embarqué » ?

 Un journaliste « embarqué » – « embedded journalist », comme on dit en anglais – est un journaliste qui accepte d’être strictement contrôlé par ceux qui l’ « embarquent »  et qui sont, en général, des militaires ou des policiers désireux de transparence ou soucieux de leur image médiatique. Un journaliste « embarqué » est donc un journaliste encadré, soumis aux consignes et aux ordres de l’autorité qui le prend en charge et assure, au besoin, sa protection. Sa liberté de manœuvre est forcément réduite. Les informations qu’il recueille sont aussi contrôlées que ses mouvements. Tout journaliste « embarqué » est dont instrumentalisé. Mais il l’est sciemment. Ce qu’il observe, entend,  perçoit et enregistre au cours de son « embarquement »  n’est jamais dénué d’intérêt informatif. Il n’y a donc pas lieu d’opposer un refus absolu à cette pratique ambigüe à condition de ne pas être dupe des arrière-pensées des « embarqueurs »…

 

Que pensez-vous du journalisme « camouflé » ?

 Le journalisme « undercover » est une pratique différente du journalisme « embarqué ». Elle renvoie soit à la pratique de l’infiltration, qui consiste, sous une fausse identité, à s’introduire dans un milieu donné pour l’observer de l’intérieur, soit à la pratique de l’immersion, qui consiste non seulement à observer de l’intérieur un milieu donné mais aussi à éprouver personnellement ce que peuvent ressentir les autres en vivant comme eux pour témoigner ensuite de leur ressenti. Le recours à ces subterfuges exige prudence et mûre réflexion. Les professionnels qui y recourent le font, en général, à condition que l’information recherchée ait vraiment un intérêt public important : atteinte aux droits humains, protection contre des délits, phénomène de société…

 

Comment gérer les sources anonymes ?

 Pour bien renseigner les autres, il faut être bien renseigné soi-même. Le journaliste a besoin de sources pour l’aider à faire le tri entre les vraies nouvelles et les fausses, et pour diffuser des informations véridiques. La question est donc de savoir si l’on peut se fier à une source complètement anonyme, c’est-à-dire non identifiée et non identifiable. La réponse est évidemment négative. En présence d’une source anonyme les premières précautions à prendre sont celles que l’on doit prendre en présence de toute source occasionnelle : essayer d’identifier la source, examiner ses motivations, approfondir ses indications, la faire parler au-delà de ce quelle veut dire, recouper ses déclarations ou ses « informations » auprès d’autres sources indépendantes. Si ces précautions ne donnent aucun résultat probant la méfiance s’impose. Il faut attendre que la source en question se manifeste à nouveau pour obtenir d’elle des garanties ou des preuves.  En revanche, si la source est identifiée mais tient à conserver l’anonymat, il s’agit là d’un cas de figure différent. Nous sommes alors dans le cas de figure classique du rapport de confiance existant entre le journaliste et une source personnelle, discrète ou secrète, dont la fiabilité est établie et dont l’apport est utile.

 

Est-il légitime de censurer certaines expressions, en particulier quand elles menacent l’intégrité territoriale d’un pays ?

  Le journaliste professionnel est un défenseur de la liberté d’expression qui est l’un des droits fondamentaux de tout individu, inscrit, d’ailleurs, dans le Préambule du Code de déontologie des journalistes maghrébins. Il la revendique pour lui-même au nom de sa fonction sociale, celle qui fait de lui un diseur de vérités. Tout esprit de censure lui est donc étranger. Il veille, au contraire, à favoriser toutes les expressions, y compris les expressions les plus minoritaires. Si une expression politique est de nature à menacer l’intégrité d’un territoire national – par exemple s’il s’agit d’une expression favorable à l’indépendance d’une contrée, comme c’est le cas en Ukraine, en Ecosse, en Catalogne ou en Kabylie, il ne lui appartient pas de  nier cette expression politique, et encore moins de l’occulter à partir du moment où elle constitue un fait politique. Il peut dire ce qu’il en pense, la commenter, la juger, voire la condamner, mais, comme il a un devoir d’honnêteté vis-à-vis des gens, il n’a pas le droit de la censurer, sauf à se déclarer partisan militant. Cela dit, si la liberté d’expression est pour le journaliste quelque chose de sacré, les libertés d’expression ne sont pas sans limites. Le respect du pluralisme ne saurait justifier la moindre complaisance vis-à-vis de propos injurieux, insultants, mensongers, diffamatoires, et encore moins vis-à-vis d’incitations à la haine raciale, ethnique ou religieuse, contraires à tous les codes de déontologie. Le respect des règles déontologiques que s’impose le journaliste s’impose aussi à ses interlocuteurs dès lors que leurs propos sont destinés à publication. Celles et ceux qui expriment certaines opinions controversées se mettent eux-mêmes hors-jeu quand ils transgressent les lois interdisant l’expression d’opinion discriminatoires, racistes, attentatoires aux libertés des autres, etc. C’est par rapport aux valeurs démocratiques qu’il faut discriminer le tolérable et l’intolérable. Quand au nom de la liberté on utilise les espaces de liberté pour saper les fondements de la démocratie il ne faut pas s’étonner de se voir imposer des limites de la part des défenseurs de la démocratie car la liberté d’expression est consubstantielle à la démocratie. Le journaliste reconnaît à chacun le droit de s’exprimer librement, mais il n’a pas à faciliter l’expression des opinions illégales, liberticides ou antidémocratiques. Il y a une distinction à opérer entre les opinions liberticides ou antidémocratiques et les opinions politiques légitimes exprimées par des partis ou  courants démocratiques pas ou peu représentées dans les assemblées élues ou dans les médias. Pas question d’exclusion à leur égard mais plutôt de les soumettre à des traitements rédactionnels appropriés à leur importance réelle et, surtout, à leur objectif et à leur idéologie.

 

Ai-je le droit d’écrire que le Président de mon pays est « un handicapé » ?

 Que signifie ce mot ? Dans n’importe quel dictionnaire « un(e) handicapé(e) », c’est une personne qui ne jouit pas de toutes ses facultés physiques ou mentales. C’est un mot qui exprime un état de déficience, une souffrance, une maladie. Ce n’est pas un «  gros mot », encore moins une injure ou une insulte. On peut donc l’employer à propos de tout individu dont l’état correspond à sa définition, quelle que soit la fonction ou le statut social de cet individu. A condition, bien sûr, que le mot ne soit pas employé dans un contexte qui le dénature ou l’amalgame à des synonymes insultants ou dégradants pour l’individu concerné ou pour ce qu’il représente s’il dispose d’un mandat électif. Tout handicapé, quel qu’il soit, a droit au même respect qu’un non handicapé.

 

Qu’est-ce qu’un mot «sans arrière-pensée » ?

  Le choix des mots n’est pas neutre. Le mot juste, le mot sans arrière-pensée, c’est un mot dépourvu de toute ambiguïté. De nos jours, le choix des mots est d’autant plus important que le développement des nouvelles technologies de la communication facilite la diffusion de mots ou d’expression fabriqués pour instrumentaliser les médias. On l’a vu, notamment, lorsque s’est constitué, pendant la guerre civile en Syrie, le soi-disant « Etat islamique » qui n’était ni un Etat ni « islamique » de l’avis même de beaucoup de musulmans à travers le monde. Certains médias sont tombés dans le panneau mais d’autres, comme l’AFP, ont déjoué le piège en parlant de « l’Organisation Etat islamique », ou du « Groupe Etat islamique, ou des « djihadistes de l’El ». Les experts en désinformation sont habiles dans la fabrication de mots-pièges ; le journaliste doit les déjouer en expliquant au besoin à ses lecteurs pourquoi il refuse de les reprendre à son compte.

 

 

Quelles sont les règles déontologiques en matière d’intervention sur la copie au moment de sa relecture ?

 La relecture a trois fonctions. Elle consiste, d’abord, à corriger la copie si elle comporte des fautes d’orthographe, syntaxe, vocabulaire, etc. Elle consiste, ensuite, à embellir la copie en retouchant par exemple les phrases bancales, en faisant la chasse aux clichés, en effaçant les tics d’écriture, en appliquant à bon escient les règles de la ponctuation. Elle consiste, enfin, à bonifier la copie, autant que possible, par exemple en supprimant les lourdeurs, les répétitions, en remplaçant les mots inappropriés par les mots justes. La relecture se préoccupe donc, avant tout, de la forme. Mais il arrive, bien sûr, au-delà des questions de forme, que la relecture d’un texte soulève, chez le relecteur ou la relectrice, des questions de fond. La faiblesse d’un témoignage ou d’un argument, par exemple, peut conduire un chef de rubrique ou un rédacteur en chef à douter du bien-fondé d’une analyse ou d’une interprétation. Toute intervention de la copie demande alors du doigté car toute relecture, dans la pratique du journalisme professionnel, respecte la production de l’auteur(e). Dans ce cas de figure les retouches opérées pour améliorer un texte ne doivent jamais trahir ni le sens du texte ni le style de l’auteur. Relire ne signifie pas dénaturer. Le journalisme étant un travail d’équipe, les coupes et les réécritures doivent être discutées et concertées. Elles interviennent – dans les équipes bien organisées – d’un commun accord entre les auteurs et leurs hiérarques. Quand chacun est de bonne foi les ajustements se font en douceur. Les actes d’autorité, en la matière, sont contre-productifs. Dans l’hypothèse d’un désaccord insurmontable, l’auteur d’un texte a toujours la possibilité de refuser la parution, sous sa signature, d’un article qu’il juge, en conscience, dénaturé. Mais, dans une équipe rédactionnelle, nul n’a intérêt à ce genre de conflit.

 

Les éditorialistes, les billettistes et les caricaturistes prennent parfois des libertés avec les règles déontologiques… Qu’en pensez-vous ?

 Aucune forme d’expression journalistique ne peut s’affranchir des règles déontologiques.

 

Qu’est-ce qu’on peut faire pour faire comprendre aux gens que tous les porteurs de prétendues « cartes de presse », qui sont nombreux chez les informateurs et correspondants locaux, ne sont pas des journalistes professionnels ?

 Il faut vulgariser, expliquer et appliquer soi-même les règles déontologiques du journalisme professionnel pour que les gens perçoivent la différence, à travers les écrits mais aussi à travers les comportements, entre les journalistes dignes de ce nom et les « journalicules », comme disait Paul Valéry à propos des plumitifs sans foi ni loi…

 

Certaines sources donnent des informations « off the record », c’est-à-dire à condition qu’elles ne soient pas reproduites littéralement et que leur source ne soit pas révélée. Faut-il toujours respecter le « off »?

 C’est une affaire de confiance. Si une source vous demande explicitement de garder une information confidentielle, et si vous ne respectez pas votre parole donnée, vous perdrez une source. Mais la pratique du « off » a plusieurs variantes. Le « off » peut avoir plusieurs significations. Il peut signifier : « vous ne diffusez absolument pas » ou « vous pouvez diffuser si une autre source confirme » ou « vous pouvez diffuser certains éléments précis mais pas les autres », ou « vous pouvez diffuser en modifiant certaines choses » ou encore « vous pouvez diffuser en respectant l’anonymat de la source ». Ces variantes peuvent aussi inclure une tentative de manipulation. Une source qui prend l’initiative de donner une information « off » a généralement intérêt à le faire. Une information « off » n’est donc ni plus ni moins crédible qu’une autre. Il est impératif de rester vigilant. Dans la pratique, de toute façon, le respect du « off » n’est réellement concevable que dans un rapport de confiance entre deux personnes.  Quand une source livre une information en « off » à plusieurs journalistes en même temps le « off » perd immédiatement son caractère confidentiel. La notion du « off » n’est plus pertinente car  l’un des journalistes présents exploitera forcément l’information au nom de l’intérêt public ou de son intérêt personnel.  A de rares exceptions près – par exemple quand une personnalité livre ses confidences à un journaliste au cours d’un tête-à-tête – il n’y a pratiquement plus de « off » dans les mœurs médiatiques.

 

Quelle est la bonne attitude à avoir vis-à-vis des lobbys et des communicateurs ?

Ce sont des sources comme les autres, donc il ne faut pas s’interdire de travailler avec eux. Cependant, il faut toujours prendre en compte que leurs intérêts, en matière de diffusion d’informations dans l’espace public, sont très différents des nôtres. Ils travaillent pour leur institution, leur entreprise, leur patron. Nous, les journalistes, nous travaillons pour les citoyens. Ce sont donc des sources que nous devons utiliser avec circonspection, parfois avec des « pincettes ». Mais leur fréquentation et l’observation de leurs modes de fonctionnement fournissent aussi des informations authentiques.

 

Est-ce qu’on peut être à la fois journaliste professionnel et communicant ?

 Non, il faut choisir. Le journalisme et la communication sont deux métiers différents. Le journaliste est au service de l’intérêt général ; le communicant est au service d’intérêts particuliers. Il y a incompatibilité entre les deux fonctions. Toute tentative de cumul est fatalement génératrice de conflits d’intérêts.

 

Comment faire quand il y a des divergences entre les intérêts de sa propre entreprise – par exemple ses intérêts publicitaires – et les règles déontologiques du journalisme ?

 C’est vrai, les devoirs professionnels du journaliste ne coïncident pas toujours exactement avec les besoins économiques de l’entreprise dans laquelle il exerce son métier. Sa situation est toujours ambivalente : d’un côté, le journaliste  est un salarié ordinaire, avec les mêmes obligations que n’importe quel autre salarié, et il est donc soumis aux décisions de l’autorité qui le rémunère ; de l’autre côté, il traite l’information, qui n’est pas une marchandise comme les autres puisque c’est une marchandise sociale, et il est donc l’employé de ses concitoyens qui font confiance à ses renseignements, à ses analyses, à ses jugements, et qui achètent le produit de son travail au profit de son entreprise. La dimension sociale de sa mission et les règles déontologiques qui en découlent font que le journaliste salarié ne peut pas refuser les tâches qui relèvent strictement de son métier mais que, en revanche, le journaliste citoyen peut refuser toute tâche qui ne relève pas du journalisme.  Et, en général, c’est le critère de l’actualité qui constitue le bon point d’appui pour établir la différence. Consacrer un reportage au démarrage d’une nouvelle entreprise ou au lancement d’une activité innovante dans une entreprise ancienne, c’est du journalisme économique. Rédiger un publi-reportage ou un papier de complaisance pour « renvoyer l’ascenseur » à un annonceur, ce n’est pas du journalisme.

 

 

 

Cinq clés de bonne gouvernance

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1      Un agenda bien tenu.

 

La qualité du contenu d’un journal est proportionnelle à celle de l’agenda qui l’inspire.

Un agenda sérieux est composé de trois volets :

 

  • Le calendrier de l’actualité immédiate : liste quotidienne des événements du jour annoncés par des sources identifiées. Il permet de préparer le traitement de l’actualité présente. Exemple : je prévois pour demain un article de 1 col 1/2 pour l’analyse du discours du premier ministre.
  • Le calendrier de l’actualité prévisible : choses à faire pour l’organisation du traitement de l’actualité des jours à venir. Il permet d’anticiper. Exemple : je dois prendre des rendez-vous pour faire un bilan de la situation sociale avant l’anniversaire des émeutes de l’an passé.
  • Le calendrier de l’actualité choisie : sujets personnels à forte valeur ajoutée. Il permet d’inclure dans sa programmation des sujets conçus en complément de l’actualité immédiate ou prévisible. Exemple : l’actualité est déprimante, je vais interviewer le petit épicier du coin de la rue qui a toujours le mot pour rire.

 

Un agenda collectif, quand on travaille en équipe, vaut mieux que des agendas individuels.

 

2      Un travail collectif bien organisé.

 

Il n’y a pas de bon journal sans bon travail d’équipe. C’est au cours des Conférences de Rédaction que l’équipe prépare sa production collective.

 

Il y a trois sortes de Conférence de Rédaction :

 

  • La Conférence pour prévoir le traitement de l’actualité (Conférence prévisionnelle).
  • La Conférence pour organiser le traitement de l’actualité (Conférence opérationnelle).
  • La Conférence pour réfléchir au traitement de l’actualité (Brainstorming collectif sur les contenus rédactionnels du passé ou le futur).

 

Dans un quotidien d’informations générales organisé en services  et paraissant le matin, l’horaire journalier type est le suivant :

 

9 heures 30. Réunion de chaque service pour organiser le traitement de l’actualité incombant au service. Participation impérative de tous les membres du service. Les participants se tiennent debout pour gagner du temps. Chacun, au vu de son agenda personnel, formule ses propositions d’articles. Les textes proposés sont évalués en signes, lignes, colonnes ou pages. Le Chef du Service, au vu de l’agenda collectif et de la place dont il disposera, arbitre entre les demandes de ses collaborateurs. Il arrête le Menu du Jour  proposé par son équipe.

 

10 heures. Conférence de Rédaction générale présidée par le directeur du journal, le directeur de la rédaction ou le rédacteur en chef. Représentation impérative de tous les services. Les participants se tiennent debout pour gagner du temps. Chaque Service, à tour de rôle, présente son Menu du Jour. La discussion se limite au choix des sujets à mettre en valeur à la « une » et aux « ajustements » de calibrages nécessaires. La réunion ne dure pas plus d’une vingtaine de minutes. Validation d’un Menu général qui devient le Menu définitif aussitôt transmis au Rédacteur en chef technique ou au Secrétariat de Rédaction.

10 heures 30. Chaque Service intègre dans sa production du jour les précisions inscrites dans le Menu général.

 

17 heures 30. Chaque Service élabore son Pré Menu (Menu prévisionnel) pour le sur-lendemain. Chaque journaliste expose ses prévisions au chef de service. Celui-ci dresse l’inventaire de toutes les prévisions et prononce ses premiers arbitrages.

 

18 heures. Conférence de Rédaction prévisionnelle. Réunion assise. Représentation impérative de tous les services. Chaque service expose son Pré Menu du lendemain. Cette réunion est ouverte à tous les rédacteurs disponibles. Tour de table sur le Pré Menu général en cours d’élaboration. Durée variable suivant la charge de travail des uns et des autres.

 

***

 

Le brainstorming collectif permet à l’ensemble de la Rédaction de se réunir, à intervalles réguliers, par exemple une fois par trimestre, pour analyser, de façon autocritique, sa production collective des mois passés, réfléchir à la meilleure façon de traiter l’actualité future, décider des positions éditoriales à prendre. La Conférence de Rédaction devient alors un Comité de Réflexion qui peut être réuni, sur l’initiative commune du Directeur du journal et du Directeur de la Rédaction, ou du Rédacteur en chef, sur un ordre du jour précis d’où sont exclus les sujets de discussion sans rapport direct avec le contenu du journal.

 

Exemple d’ordre du jour :

A/ Bilan de notre traitement des travaux de l’Assemblée constituante.

B/ Préparation des élections législatives.

C/ Le journal doit-il prendre position à la prochaine élection présidentielle ?

 

3      Des informations hiérarchisées.

 

L’information importante, pour le journaliste, c’est celle qui importe aux lecteurs de son journal. Mais, quel que soit le journal, les faits qui intéressent certains lecteurs n’intéressent pas forcément les autres. La hiérarchie de l’information a des contours fluctuants. Chaque équipe rédactionnelle a la possibilité, au nom de ses valeurs, de bâtir ses propres hiérarchies. La meilleure solution est, toutefois, la hiérarchie fragmentée :

 

– Quelle est l’information importante pour les lecteurs intéressés par l’actualité de politique internationale ?

– Quelle est l’information importante pour les lecteurs intéressés par l’actualité de politique intérieure ?

– Quelle est l’information importante pour les lecteurs intéressés par l’actualité économique et sociale ?

– Quelle est l’information importante pour les lecteurs intéressés par l’actualité culturelle ou sportive ?

 

Les sujets sont traités en conséquence. En cas de doute, donner la priorité aux faits.

 

Exemple d’actualité hiérarchisée dans une page d’information type :

  1. Le récit des faits (récit ou reportage)
  2. Les témoignages sur les  faits (reportage ou « micro-trottoir »)
  3. Les réactions aux faits (reportage ou dépêches d’agence)
  4. Les questions soulevées par les faits (analyse)
  5. Le commentaire général (éditorial).

 

4      Des journalistes disciplinés.

 L’actualité est non-stop. Pour exercer le journalisme, il faut avoir une bonne santé, une hygiène de vie équilibrée, apprendre à travailler vite, sans perdre son calme. Qu’il soit seul en poste ou membre d’une Rédaction nombreuse, le journaliste professionnel s’impose des règles de discipline :

 

Respecter les longueurs assignées. Un article plus long que prévu, c’est du temps perdu en cascade : pour celui ou celle qui doit le raccourcir ; pour celui ou celle qui doit le mettre en page ; pour celui ou celle qui doit l’imprimer ; pour celui ou celle qui doit le diffuser.

 

 Respecter les horaires. Un article remis en retard, c’est de la tension en chaîne : relecture bâclée, correction précipitée, risque d’erreur dans le contenu, fabrication compliquée, diffusion pénalisée.

 

Respecter ses coéquipiers. Travailler en équipe n’est pas toujours facile mais il n’y a pas de bon journal sans discipline collective. Il faut savoir écouter ses coéquipiers, savoir partager les informations, savoir comprendre les réflexions des autres, savoir accepter les arbitrages.

 

La production quotidienne exige une répartition ordonnée des tâches quotidiennes. Garder à l’esprit que les meilleurs solistes ne font pas naturellement les meilleurs chefs d’orchestre. Qu’il soit Rédacteur en chef, Chef ou Sous-chef de service, le journaliste nommé à des fonctions hiérarchiques doit savoir diriger, motiver, animer, déléguer. Cela s’apprend aussi.  Il est sain de poser en principe que, dans une équipe de journalistes, nul n’est propriétaire de sa  fonction hiérarchique. 

 

 

 

5      Des structures bien articulées.

 Quelle que soit la discipline collective, toutes les formes d’organisation du travail d’équipe ne produisent pas les mêmes résultats. Les organisations les plus performantes sont celles qui donnent au journaliste la possibilité de maîtriser complètement la qualité de sa production.

 

Il existe trois formes d’organisation :

 

* L’organisation artisanale. C’est une organisation à deux étages : un étage de commandement et un étage d’exécution. Tous les pouvoirs sont détenus par un seul journaliste, en général propriétaire du titre. Il cumule les fonctions de directeur et rédacteur en chef, embauche quelques journalistes polyvalents, distribue le travail à sa guise.

 

Avantages : équipe homogène, soudée, solidaire, conviviale.

 

Inconvénients : exercice paternaliste de l’autorité, risque de pratiques routinières, évolutions internes improbables, absence de pluralisme dans le contenu.

 

* L’organisation pyramidale. C’est une organisation à quatre étages : un étage de chef d’entreprise, un étage de commandement délégué, un étage d’exécution supérieur, un étage d’exécution inférieur. Les responsabilités sont centralisées au sommet. Un patron journaliste nomme un directeur de la rédaction qui choisit plusieurs adjoints auxquels il confie le soin d’animer les services, ou rubriques, composés de journalistes polyvalents.

 

 Avantages : équipe ordonnée, cohérente, disciplinée, efficace.

 

 Inconvénients : risque de caporalisme, pensée unique, contenu uniforme, absence de débats contradictoires, expression éditoriale univoque.

 

* L’organisation en losange. C’est une organisation à trois étages : un étage de contrôle, un étage de commandement, un étage d’exécution. Les responsabilités sont décentralisées. Le chef de l’entreprise et le directeur de la rédaction les délèguent aux chefs de services qui sont les seuls maîtres du choix de leurs collaborateurs et du contenu de leurs pages. Chaque équipe rédactionnelle, composée de polyvalents ou de spécialistes, travaille en autonomie.

 

Avantages : contenus diversifiés, émulation interne, hautes performances , haut degré d’expertise.

 

Inconvénients : fonctionnement à huis clos, excès de spécialisation, absence de réflexions transversales, élitisme.

 

Rappel utile : les systèmes ne valent que ce que valent celles et ceux qui les font fonctionner.

 

 

 

 

 

 

Cinq voies d’excellence

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Il n’y a pas de bon journal sans agenda bien tenu mais l’agenda  n’est pas un livre sacré. Le risque existe même que le journaliste se fasse piéger s’il se laisse imposer la loi de l’agenda par les professionnels de la communication. S’il veut être plus performant que ses confrères, le journaliste doit se montrer exigeant  avec lui-même. Une fois qu’il a réfléchi aux diverses façons de transformer son agenda du jour en sujets rédactionnels, il doit se poser une ultime question : que puis-je faire de plus, ou de mieux, pour que le contenu de mon journal soit meilleur que celui des autres ?   Il existe cinq voies d’excellence qui permettent d’enrichir en permanence ses contenus rédactionnels :

 

1      Varier les formes journalistiques.

 

On renseigne en racontant, c’est la narration.

La Brève est la forme informative minimale. Une phrase suffit pour répondre aux questions élémentaires ( Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? ).

Le récit est la forme informative maximale. C’est l’exposé détaillé d’une suite de faits enchaînés l’un à l’autre, dans l’ordre chronologique ou logique, pour transmettre au public ce que l’on sait de l’événement de la façon la plus claire. Une addition de phrases suffit.

 

On renseigne en décrivant, c’est le reportage.

Le reportage est la forme informative optimale. C’est un récit complété par la description des faits rapportés. Cette description ajoute à l’exposé des détails tout ce qui les caractérise: couleurs, sons émotions, témoignages, scènes de vie, scènes de mort, etc. Le reportage donne à voir. Le recours aux adverbes, adjectifs, aux choses vues et entendues, donne aux faits une consistance concrète.

 

On explique en analysant, c’est l’enquête.

L’enquête est la forme informative analytique. Elle donne à comprendre. C’est la décomposition des faits dans leurs éléments constituants. Ce travail d’analyse nécessite une bonne connaissance du sujet à traiter, une documentation appropriée, des sources fiables, des témoignages précis, un temps de réflexion. Il arrive que l’enquête analytique n’explique pas certaines choses à cause de données invisibles, camouflées ou occultées. Le journaliste engage donc des recherches au-delà des données connues. C’est l‘enquête d’investigation, forme  informative la plus approfondie.

 

On explique en faisant analyser, c’est l’interview.

L’interview est un procédé analytique de substitution. Quand le journaliste n’est pas en mesure de fournir lui-même les explications qu’on attend de lui, il sollicite l’avis d’un spécialiste du sujet. L’interview publiée sous forme de questions-réponses est la plus éclairante.

 

On interprète en évaluant, c’est le commentaire.

Il y a plusieurs façons de partager ses réflexions personnelles avec ses lecteurs mais toutes sont des formes de commentaire : billet, chronique, dessin. C’est le lecteur qui, alors,  juge de la pertinence de l’interprétation.

 

On interprète en concluant, c’est l’éditorial.

Si au terme de ses réflexions personnelles le journaliste porte un jugement de valeur sur les faits observés, analysés, évalués, il signe un éditorial. Le lecteur est alors libre d’épouser ou non ce point de vue mais celui-ci, de toute façon, l’éclaire sur la pensée de l’éditorialiste et constitue donc, en soi, une information.

 

2       Varier les formes d’écriture.

L’écriture journalistique est une écriture de précision. Elle est claire, concise. Elle va à l’essentiel, parce qu’elle n’a pas de temps à perdre, mais elle doit être aussi exacte que l’écriture scientifique. Elle va au plus simple parce qu’elle doit être comprise par tout le monde ; mais elle sait être aussi élégante que l’écriture littéraire. Variable selon ses formes d’expressions, l’écriture journalistique n’est pas formatée ; elle a sa propre amplitude. Chaque journaliste doit trouver son style, l’affirmer, singulariser sa production. On y parvient en prenant du plaisir à écrire chaque jour. Il s’agit pour chacun de travailler à rendre unique sa façon de rapporter les images, les sons, les parfums. Le journaliste apprend à écrire comme il respire, en jouant avec les figures de style qui donnent rythme et souffle à l’agencement des idées, des mots et des images.

 

Jouez avec la signification des mots !

Trouvez des analogies appropriées ! Laissez votre imagination dénicher les bonnes ressemblances ! Rien ne vaut une image pour orner un texte. Les légions romaines de Marius sont en marche vers le camp de Jugurtha ?  A quoi ressemblent-elles, les unes derrière les autres, sur la route d’ El Kef ? L’image est immédiate : « les chenilles processionnaires de Marius avancent vers El Kef… ».

 

 Personnifiez les idées abstraites ! Voyez sur les traces de Marius « la Justice poursuivant le Crime... ». Créez de nouveaux types d’individus ! Transformez les noms propres en noms communs : « Désormais, en Tunisie, pour qualifier un héros on dira « un jugurtha » et pour qualifier un vaniteux on dira « un marius » !

 

Exprimez-vous par euphémisme ! Suggérez le plus en disant le moins : « La situation de Marius n’est pas impériale... ». Maniez l’ironie ! Exprimez une idée et son contraire : « Tout ce bel échantillon de la civilisation romaine, à force de déployer son génie militaire, se retrouvera bientôt ensablé dans le désert… ».

 

Jouez avec la position des mots !

Accumulez les mots ! Provoquez des gradations : « Adieu chevaux, chameaux, veaux, vaches, poulets !… ». Ce procédé donne de la nervosité à l’écriture.

 

Produisez des effets d’insistance ! Rythmez votre texte en répétant le dernier mot d’une phrase au début de la phrase qui suit : « Il y avait un légionnaire dans le poulailler. Le poulailler était calme... ». Ou rythmez votre texte en répétant le même mot au début et au milieu de la même phrase : « Le légionnaire était dans le poulailler, le légionnaire était affamé… ». Ce procédé permet aussi des progressions éditoriales : « Puisque Jugurtha est encerclé, puisque Marius se croit tout permis, puisque les droits des habitants de Carthage sont bafoués… », etc.

 

Ornez votre texte d’un « effet miroir » ! Faites en sorte, par exemple, que votre chute soit parallèle à votre accroche : « Son cheval boîte… Son cheval meurt… ».

 

Surprenez le lecteur en bousculant les normes ! Optez pour la rupture dans la construction de vos phrases : « Le nez de Cléopâtre, s’il eut été moins fin, toute la face de l’Egypte aurait changé… ».

 

Jouez avec la musique des mots !

Bâtissez des harmonies sonores ! Faites rimer vos phrases quand le contexte autorise un brin d’éloquence : « Les Carthaginois pourraient s’accommoder de vivre sans bonheur mais jamais ils n’accepteront de vivre sans honneur… ».

 

Glissez un brin de poésie dans votre prose ! Essayez l’allitération qui consiste à répéter le même son : « La muse de César ne s’appelait pas Cambuse par hasard... ». Essayez l’assonance qui consiste  à répéter la même voyelle : «  Veni, vidi, vici... », « Je suis venu,  j’ai vu, j’ai vaincu… ».

 

Faites de beaux articles ! Un bel article, c’est celui qui donne autant de plaisir à son auteur qu’à ses lecteurs.

 

3      Appliquer la règle des quatre « C ».

 La question de savoir comment enrichir ou approfondir le traitement prévu d’un sujet d’actualité débouche toujours sur quatre possibilités : le traitement en contrechamp, le traitement en contrepoint, le traitement en contre-pied, le traitement en contre-écrou.

 

La valeur ajoutée en contrechamp consiste à produire un effet de miroir inversé : on complète le traitement du sujet principal par le traitement du même sujet abordé sous un angle diamétralement opposé. J’ai décidé de  consacrer mon sujet principal au génie militaire d’Hannibal. En contrechamp, je traiterai aussi des servitudes qui en résultent pour le fantassin carthaginois de base.

 

La valeur ajoutée en contrepoint consiste à produire un effet de second plan: on juxtapose le traitement d’un sujet annexe, voire décalé, sur le traitement du sujet principal. J’ai décidé de consacrer mon sujet principal aux problèmes d’intendance que rencontre Hannibal dans ses expéditions. En contrepoint, je ferai le portrait de l’un de ses vaguemestres  chargés de cavaler en autour de la Méditerranée pour informer Carthage des exploits de son héros.

 

La valeur ajoutée en  contre-pied consiste à produire un effet de contraste : à une enquête on oppose une contre-enquête, à un témoignage on oppose un contre-témoignage, à un exemple on oppose un contre-exemple, etc. J’opposerai à mon enquête sur les pratiques esclavagistes des Romains une contre-enquête de mon correspondant à Rome sur les actions humanitaires de la femme de César.

 

La valeur ajoutée en contre-écrou consiste à produire un effet de solidité : on renforce le traitement du sujet principal avec plusieurs apports complémentaires. Je consoliderai mon enquête sur le financement des campagnes d’Hannibal en ajoutant trois éléments informatifs à mon texte principal : une petite interview de son banquier ;  un encadré sur le coût de l’alimentation des éléphants de combat ; un graphique sur l’évolution comparée des dépenses militaires d’Hannibal et de celles de son père Hamilcar.

 

 

4      Pratiquer la relecture obligatoire.

 

Se relire, quand on écrit, c’est une précaution. Quand on est journaliste, cela devient un devoir. Mais il ne suffit pas de relire soi-même ce qu’on écrit pour garantir au lecteur que le texte qu’il lira dans le journal sera irréprochable. Chaque auteur a ses manies, ses tics d’écriture, ses faiblesses. Le journaliste professionnel considère la double relecture comme une discipline impérative. Aucun texte ne doit paraître avant d’avoir été été relu et, au besoin, corrigé par quelqu’un d’autre que son auteur. La relecture est l’ultime valeur ajoutée : non seulement elle corrige mais elle embellit   et bonifie. Cette obligation de la double relecture impose aux rédactrices et rédacteurs l’utilisation quotidienne des dictionnaires, toujours préférables aux logiciels de correction orthographique.

 

5      Soigner la présentation et la mise en « vitrine ».

 

J’écris pour être lu. Si je veux que les acheteurs de mon journal me lisent, je dois attirer leur attention sur mon article. J’y parviendrai si mon article bénéficie d’un bon titre. Qu’est-ce qu’un bon titre ? C’est une invitation. Il doit donner envie. Sa rédaction parachève le travail d’écriture ; elle réclame un soin extrême. Je conçois donc mes titres moi-même. Et comme le meilleur titre est toujours le plus simple, je ne m’encombre pas d’éléments accessoires  quand il suffit d’un titre principal pour tout résumer. Ma préférence va toujours au titre informatif mono-phrasé, celui qui répond en une phrase courte aux deux questions essentielles : « qui » et « quoi » ? : « Hannibal fonce sur Rome ! ».

 

Quant à la mise en page, c’est la mise en « vitrine » de la production rédactionnelle. Objectif recherché : mettre en valeur les articles. Les règles qui s’appliquent sont celles de la composition picturale. Chaque page du journal doit être composée comme un tableau : il s’agit d’assembler autour d’un motif principal des motifs secondaires hiérarchisés. L’ensemble doit être clair, lisible, esthétique.  Il n’y a qu’un seul sujet principal par page. Il occupe la place d’honneur dans le tableau : la tête de page. Il bénéficie du plus gros titre. Mais sa prééminence ne doit ni écraser ni éclipser les autres articles qui ont aussi, séparément, beaucoup d’importance. L’architecte de la page doit rechercher des proportions harmoniques en utilisant toute la gamme de sa palette graphique pour produire les meilleurs effets visuels.

 

 

 

 

 

Introduction

Par défaut

La question de la responsabilité sociale des médias était au cœur des débats qui animaient la société civile tunisienne depuis la Révolution du 14 janvier 2011.

Il était donc d’intérêt public, pour la Tunisie, de mettre rapidement en œuvre les dispositions du Code de déontologie des journalistes maghrébins adopté, le 30 janvier 2013, au terme du premier Forum de Hammamet pour la déontologie de la presse maghrébine. C’est donc en Tunisie qu’a eu lieu la première des étapes de la Mission de formation à la déontologie conçue et financée par l’Union européenne.

 

Trois organes tunisiens de presse écrite avaient adhéré au programme de formation qui leur avait été proposé par la Délégation de l’Union européenne à Tunis : deux quotidiens, « La Presse » et « Al Maghreb », et un hebdomadaire, le magazine « Réalités ».

 

Après discussion avec les deux experts désignés, Patrick Pépin et Alain Rollat, formateurs à l’ESJ de Lille et l’ESJ Pro de Montpellier, c’est la même méthode de travail qui s’est imposée comme une évidence: l’apprentissage de la déontologie journalistique par travaux pratiques organisés in situ.

 

Présents en Tunisie du 3 mars au 10 mars, puis du 31 mars au 8 avril 2014, les deux experts ont passé les contenus les plus récents des deux titres francophones, « La Presse » et « Réalités », au crible des normes déontologiques universelles, et débattu avec l’équipe rédactionnelle d’ « Al Maghreb », quotidien arabophone, à partir de ses propres interrogations en la matière.

 

Les conclusions de ces premiers travaux pratiques ont été rassemblées ici, dans une première version de cette « Boite à outils », sous la forme synthétique d’un « Guide des bonnes pratiques », constituant, en quelque sorte un « Mode d’emploi » du Code de déontologie des journalistes maghrébins, et d’un « Guide des usages professionnels » faisant l’inventaire des normes comportementales qui font aujourd’hui « jurisprudence », en matière d’éthique, dans la presse écrite.

 

La deuxième étape de la Mission a eu lieu en Algérie, au lendemain du second Forum de la presse maghrébine, organisé à Hammamet du 28 au 31 mai 2014 et consacré à « L’état de la liberté de la presse au Maghreb ». Elle s’est déroulée à Alger et à Oran, d’abord du 15 au 25 juin,  puis du 21 septembre au 2 octobre 2014,  Trois quotidiens avaient adhéré au programme de formation : deux quotidiens francophones, « El Watan » et « Liberté », et un quotidien arabophone, « El Khabar ». Les deux experts y ont vulgarisé le texte du Code de déontologie des journalistes maghrébins et se sont appuyés sur les conclusions de leurs travaux en Tunisie pour solliciter les réactions des journalistes algériens. Les échanges et débats qui en ont résulté dans chacun de ces journaux , tantôt au cours d’ « ateliers » en petits groupes, tantôt au cours de réunions générales, ont enrichi le contenu de la « Boîte à outils » dont voici donc la deuxième version, elle-même destinée à enrichissements supplémentaires jusqu’au terme de la Mission.

 

En Algérie, la direction d’un quatrième organe de presse s’est déclarée intéressée par nos travaux : le Quotidien d’Oran, quotidien francophone né régional, devenu national. A sa demande, son équipe rédactionnelle a bénéficié, les 1er et 2 octobre 2014, à partir du texte du Code de Hammamet (dont elle ignorait l’existence), d’un cours de formation accélérée aux pratiques fondamentales du journalisme. Les questions qu’elle a soulevées ont été intégrées aux autres apports algériens rassemblés,  pour l’essentiel, dans le « Guide des usages professionnels ».

 

Au delà des pratiques et des usages, le respect de la déontologie journalistique implique, toutefois, à tous les niveaux, des comportements professionnels attentifs et des contenus rédactionnels  au-dessus de tout soupçon.

 

Notre « Boîte à outils » contient donc aussi, à toutes fins utiles, deux notes complémentaires : l’une met à la disposition de tous les professionnels  « Cinq clés de bonne gouvernance » ; l’autre leur suggère  « Cinq voies d’excellence ».

 

Enfin, en Algérie, comme en Tunisie, beaucoup des interlocuteurs de nos experts ont souligné la nécessité d’enrichir également le chapitre II du Code de déontologie des journalistes maghrébins énonçant les « Droits du journaliste ». Notre « Boite à outils » contient donc, dans cette deuxième version, plusieurs amendements formulés en ce sens.

 

Il appartient désormais à nos confrères maghrébins d’user de ces outils pédagogiques à leur convenance dans l’exercice de leur mission sociale d’information au service des gens.

 

P.P. et A.R., octobre 2014.